Voici le début d'un article
publié par l'association HALEM, qui est à la pointe sur la legislation
des habitats légers et mobiles.
Quelle reconnaissance juridique pour l’habitat léger : le cas des yourtes
Stéphanie Gasnier,
Docteur en droit, chargée d’enseignement à la faculté de droit de Limoges
L’essentiel
Les yourtes, en tant que mode d’habitat «
non ordinaire », se sont développées en France notamment au titre de
l’habitat permanent. Malgré les nombreux avantages qu’elle présente, la
yourte ne bénéficie pas de la reconnaissance juridique qu’elle
mériterait.
Allant de répression en stigmatisation, de
par la difficulté à lui donner une qualification juridique, la yourte
permanente se trouve face à un vide juridique du point de vue du régime
juridique qui lui serait applicable. La loi ALUR en cours d’adoption a
tenté de combler le vide juridique en la matière, mais le Sénat vient de
supprimer les dispositions du texte relatives à l’habitat léger.
Implantés en milieu rural, les habitats
légers, mobiles et éphémères offrent un mode de vie alternatif à la
maison individuelle, à la carence de logement social, dans un contexte
prégnant de crises économique, sociale et écologique. Habitat principal
des peuples nomades d’Asie centrale depuis le XVe siècle, la yourte est
conçue pour être montée et démontée rapidement et supporter des
températures extrêmes, en parfaite adéquation avec les préceptes
d’habitat durable et de cohérence écologique issus du Grenelle de
l’environnement. Selon Béatrice Mésini [1], divers traits caractérisent
ces modes d’« habités » : une approche économique - il s’agit d’habitats
économes, adaptés aux besoins et aux ressources ; une orientation
écologique - ces habitats sont réversibles ; et enfin, une visée de
cogestion et d’autonomie, à travers des pratiques d’échanges et de
mutualisation des savoirs. Déjà en 1979, Hervieu évoquait ces
installations comme le « retour à la terre » permettant l’autonomie par
l’autosuffisance vivrière [2].
Ce type d’habitat particulier se développe
depuis quelques années en France. Le nombre de constructeurs de yourtes a
explosé. Ainsi, des particuliers acquièrent-ils un terrain, le plus
souvent en zone inconstructible, et y installent une yourte, en guise de
domicile principal, sans solliciter une autorisation au titre du code
de l’urbanisme ni même déposer la moindre déclaration à la mairie de la
commune d’implantation. Les maires ne savent pas sur quelle base
juridique ils doivent appréhender cette situation. En effet, ce mode
d’habitat, malgré ses nombreux avantages, ne bénéficie pas de la
reconnaissance juridique qu’il mériterait. Depuis ces dernières années,
les conflits politiques et juridiques portant sur l’interprétation et
l’application de la législation applicable se sont développés en prenant
une importance médiatique notamment du point de vue du droit au
logement. Ainsi, une décision récente rendue par la cour d’appel de
Limoges le 14 juin 2013, ou encore celle dite de Boï rendue par le TGI
de Digne-les-Bains le 7 avril 2011, donnent au juriste l’occasion de
s’interroger sur le régime juridique applicable à l’implantation d’une
yourte. En raison des imprécisions et des lacunes du droit positif, les
jurisprudences divergent sur la question de la qualification juridique
de la yourte, et en conséquence sur le régime juridique qui lui est
applicable.
Il est possible de considérer que, au regard
de ses caractéristiques, une yourte constitue une construction au sens
et pour l’application des dispositions de l’article L. 421-1 du code de
l’urbanisme, aux termes duquel « les constructions, même ne comportant
pas de fondations, doivent être précédées de la délivrance d’un permis
de construire ». Mais la seule circonstance que la yourte puisse être
considérée comme une construction ne suffit pas à conclure que son
implantation est subordonnée à la délivrance d’un permis de construire.
En effet, il existe dans le code de l’urbanisme plusieurs textes qui
doivent être combinés entre eux pour apprécier le régime juridique
auquel l’implantation d’une yourte est soumise [3].
Ces questionnements juridiques visent à
parvenir à plus de cohérence et de compatibilité des politiques sociales
et sécuritaires, notamment lorsque celles-ci visent tout à la fois à
lutter contre les exclusions, à garantir le droit au logement opposable,
en mobilisant à la fois des règles de viabilité, de décence, de
salubrité, de sécurité et d’ordre public. Le nouveau projet de loi
déposé le 26 juin 2013 relatif à l’accès au logement et à l’urbanisme
rénové (ALUR), et actuellement en cours d’adoption, apporte des réponses
en ce qu’il fait entrer l’habitat léger dans les règles d’urbanisme,
mais dont le régime juridique reste à parfaire.
La quête d’une qualification juridique pour la yourte
Quoi de plus banal qu’une maison ? Un toit,
quatre murs, une porte, des fenêtres, une cheminée. C’est l’un des
premiers objets que les enfants occidentaux apprennent à dessiner. Les
yourtes, traditionnellement utilisées en Asie centrale, ont trouvé leur
utilisation en France en ce qu’elles sont des habitats bioclimatiques
utilisant au mieux les ressources naturelles de l’environnement (soleil,
vent, pluie) pour optimiser le rendement énergétique de l’habitation
(chauffage, aération, éclairage...). Elles sont, pour leurs habitants,
un choix de vie, une modalité d’exister tangible et durable qui
s’inscrit dans une recherche d’autonomie. Certains ironisent sur cette
efflorescence de « petites maisons dans la prairie », et la différence
pousse à la stigmatisation et la répression contre ces maisons « non
ordinaires » en ce qu’elles constitueraient une infraction dans le
paysage et dans le droit. Ainsi, tous les habitats « non conformes », «
non ordinaires », sont placés sous l’épée des sanctions pénales tant au
titre des infractions au droit de l’urbanisme qu’à la loi LOPPSI 2
menaçant d’expulsion, voire de destruction de l’habitat, ceux qui ont le
malheur de ne pas rentrer complètement dans les règles et les normes.
Mais quelles sont les règles et les normes que les yourtes doivent
respecter ? Ces règles existent-elles ? Dans le cadre d’une
normalisation de l’habitat tendant à l’uniformisation, emprunter les
chemins de traverse qui permettent de vivre les alternatives écologiques
au quotidien en zone rurale relève de tâtonnements et d’une conquête
perpétuelle du point de vue de la difficile qualification juridique qui
peut lui être donnée.
Expressivité des modes d’habitats légers
L’habitat léger, mobile, provisoire est un
habitat choisi, et non pas subi, allant contre la culture du cube en
béton pour promouvoir celle du rond en coton, au sens de l’expression
directe de leurs désirs et de leur liberté, comme modalité d’exister.
Malgré toutes les vertus écologiques et d’habitabilité que présente la
yourte, celle-ci est soumise à la stigmatisation et à la répression en
ce qu’elle est une maison « non ordinaire », différente, qui n’entre pas
dans le cadre juridique classique du droit de l’urbanisme.
Une modalité d’exister
Loin d’être une invention passagère et
instable ouvrant sur un mode de vie marginal, la yourte semble être la
source d’un nouveau modèle de vie au milieu des élucubrations
architecturales des temps modernes et de l’uniformisation des modes
d’habitats [4]. Le village idéal de Celesteville, sous l’autorité
éclairée du roi Babar, aligne ses maisons toutes identiques dans une
référence presque explicite aux théories du Bauhaus, débouchant sur des
architectures collectives sans identité, monotones, et répétitives au
point que « la maison est une machine à habiter » [5] selon Le Corbusier
qui définit pourtant sa conception de l’art et de l’architecture à
travers le purisme : « seules les formes pures et simples sont source
des sensations premières ». La yourte a traversé les siècles mieux que
les châteaux forts qui se sont écroulés et dont pour la plupart il ne
reste que des ruines. Comme habitat, la yourte n’est pas éphémère, mais
au contraire extraordinairement durable. Elle est en train justement de
connaître un regain de vitalité social et culturel, notamment par son
classement au patrimoine mondial de l’Unesco. Ainsi, la yourte est et
restera une tente éternelle, de par son identité intemporelle, un trésor
caché du patrimoine collectif de l’humanité.
Elle résiste à toutes les influences, toutes
les civilisations, toutes les erreurs, tous les climats, et pourrait
bien aujourd’hui être le seul habitat accessible et adéquat pour des
milliers d’individus devant se loger sur une planète épuisée, dont nous
continuons malheureusement à tarir les ressources. Maison écologique par
nature et par excellence, elle réunit toutes les fonctions répondant
tant aux besoins relatifs primordiaux qu’aux aspirations d’absolu.
Fabriquer une yourte ne nécessite ni d’architecte, ni même de plans...,
ni de technologie, ni de grosses dépendances énergétiques... Sa
construction ne nécessite qu’un couteau, une plane, un rabot, une petite
perceuse, une scie sauteuse, et, bien sûr, une machine à coudre et des
ciseaux, outils manuels basiques pouvant se suffire à eux-mêmes. Alors
pourquoi la nécessité d’un permis de construire ? L’organisation et la
rigueur participeraient-elles à elles seules au bonheur de l’individu ?
Le choix d’un aménagement autonome et
réversible est ainsi au coeur de l’expérimentation du Pré des Yourtes,
créé en novembre 2005 au nord de l’Ardèche, très souvent lié à un projet
agricole. Les habitats ont été conçus en autonomie vis-à-vis des
réseaux, grâce à un assainissement biocompatible, composé de toilettes
sèches et d’un bassin de phytoépuration, qui permet le traitement des
eaux grises. L’autonomie énergétique des habitats est atteinte grâce à
l’emploi de panneaux solaires et d’éoliennes. La démarche met en avant
un comportement responsable en matière d’environnement, par une gestion
écologique de l’eau (produits biodégradables), une gestion économe
d’énergie (poêle à bois double combustion, lampe d’éclairage à diode
électroluminescente (LED) d’un watt) [6]. Les habitants des yourtes
érigent en principe de vie des pratiques respectueuses de
l’environnement par une alimentation biologique, un habitat
partiellement ou totalement éco-construit. Cette démarche ne relève pas
du caprice. Elle est un choix, notamment face à un processus de
détachement de la société « mainstream » [7]. Il ressort d’une enquête
menée par Geneviève Pruvost [8] que la recherche d’autonomie
alimentaire, énergétique, professionnelle est revendiquée comme un acte
volontaire, et non comme relevant d’une nécessité socio-économique.
L’idée du choix est récurrente en tant que virage volontaire non subi.
La yourte doit pouvoir être identifiée comme
un logement d’accès facile pour tous, puisqu’une de ses spécificités
est de pouvoir être fabriquée à moindre coût par son usager, qui y gagne
en dignité, maîtrise, responsabilité et estime de soi, meilleures bases
pour des rapports sociaux pacifiés et partagés.
(...)
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http://www.halemfrance.org/?Quelle-reconnaissance-juridique
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